à écouter en lisant : « Où est ma tête, Pink Martini »
Ce matin elle s'est réveillée avec dans la tête les paroles lancinantes de cette chanson, comme si le miroir de ses émotions se reflétait précisément dans sa tête :
« J'ai perdu la tête
Dans la rue Saint Honoré
Je cherche ça et là
Je ne l'ai pas trouvée
Dis-moi, où est ma tête »
En voilà une excellente question qui correspond exactement à la sensation qu'elle a, de ne plus être soi. Où est-elle partie sa tête ? Dans quel état j'erre ? Sur quels continents non encore explorés a-t-elle égaré les morceaux de sa vie éparpillés ?
« J'ai perdu mes bras
Sur la place de l'Opéra
Je cherche ça et là
Je n'les ai pas trouvés
Dis-moi, où sont mes bras ? »
Ses bras par contre elle les sent bien, ils sont ballants le long de son buste et comme d'habitude elle ne sait pas quoi en faire, pourtant ça paraît simple comme ça, on n'a pas besoin de penser à ses bras quand on marche, elle a déjà assez de boulot comme ça avec l'encombrement qui persiste dans les moindres recoins de sa tête lourde, si lourde que justement, ça tombe bien, elle pourrait trouver une utilité à ses bras, en faire un berceau pour que sa tête y repose, s'asseoir par terre et juste s'endormir...
« Depuis que je t'ai perdu
Je suis en pièces sur l'avenue
Et je ne peux pas recoller les morceaux
Par moi-même
Répare moi mon très cher
Parce-que je ne suis pas entière
J'ai besoin de toi, seulement toi
Et en plus je t'aime ».
Enfin je t'aime il faudrait voir à ne pas trop exagérer quand même. L'effet miroir a des limites... En fait elle n'aime personne, elle a juste besoin qu'on prenne soin d'elle. Il faut qu'à un moment elle arrête. Il faut qu'elle arrête de se voiler la face et de laisser croire qu'elle est désespérée car c'est faux, elle est juste un peu ennuyée et elle aime en rajouter encore et encore dans le pathos. En fait elle s'est trompée de métier, elle aurait dû être comédienne, en bien des circonstances ce choix aurait été plus approprié !
« J'ai perdu mon nez
Devant le bon marché
Je cherche ça et là
Je ne l'ai pas trouvé
Dis-moi, où est mon nez »
Ce n'est pas son nez qu'elle a perdu, non, elle le sent bien son nez, comme toujours en février il a décidé de se transformer en grosse patate rouge et dégoulinante, tremblant au moindre éternuement, c'est pathétique. Non c'est son cœur qu'elle ne sent plus, pourtant elle est encore vivante, sinon elle s'en serait probablement aperçue, non ? Mais elle a l'impression que plus rien ne peut provoquer le moindre frémissement, l'organe est complètement atrophié.
« Reviens chéri vers moi
Mon nez n'importe pas
C'est toi qui peut me compléter ».
Non décidément elle raconte n'importe quoi cette chanson, c'est une autre qui lui vient en tête :
« Je n'ai besoin de personne en Harley Davidson »
Même sans Harley d'ailleurs, car c'est cher, beaucoup trop cher. Donc maintenant elle va cesser de se comporter en petite fille gâtée, à presque 40 ans ça devient gênant. Tout à coup elle se rend compte que sans s'en apercevoir, elle s'est assise par terre au milieu du trottoir, en pleine rue commerçante. Elle se sent ridicule, on dirait une clocharde trop bien habillée. Le regard des passants la ramène à une appréhension plus raisonnable de la réalité, de sa situation : oui, il est parti. Mais n'est-ce pas ce qu'elle attendant inconsciemment depuis tellement d'années qu'elle n'arrive plus à les compter ? Alors elle se redresse brusquement, ajuste ses vêtements et décide d'aller s'acheter... Un nouveau rouge à lèvres, un vernis rouge comme elle aime, ou un fond de teint pour masquer les marques du temps, ces plis entre la bouche et le nez qui commencent à apparaître sans qu'elle puisse les contrôler. Peu importe, il est encore possible d'avancer masquée.
« Je n'ai besoin de personne, sans Harley Davidson... »