À travers la vitre qui me protège
J’observe
Le mouvement nonchalant des badauds qui me cherchent
Ils ne sont pas très doués, je ne suis pourtant pas vraiment dissimulée !
À tous les regards exposée, depuis maintenant bien des années…
Je vois
Leur visage étonné quand enfin ils me discernent
Un peu difficilement à travers l’épaisseur du verre
Je pense
À leur déception quand enfin ils me découvrent
Je crois
Qu’alors pour eux le mythe s’écroule.
Sans doute m’imaginaient-ils plus grande, plus belle, plus impressionnante
Moins défraîchie, je les vois chercher
S’interroger sur ce qui justifie mon prix
Mon teint s’est brouillé, mes charmes n’ont plus le même effet
Mais qu’importe, car mon corps pâle et figé n’est plus à vendre.
Ils lèvent la tête, plissent les yeux, essayent d’imaginer
À quoi je ressemblais quand mon créateur m’a engendrée
S’ils savaient…
Je sens encore les poudres se mélanger, les couleurs se révéler
Je suis maintenant fardée, épilée, mystérieuse, désirable
Ma posture est définie, je dois rester… immobile
Impassible, la bouche plissée dans un demi sourire
Mon voile sur mes cheveux est posé, mes mains sagement croisées
S’ils savaient à quoi je pense, ce que revoit mon regard si souvent scruté
Je repense
À lui, à ses doigts sur moi, me caressant, me transportant, me révélant
Je me languis de lui, j’aimerais qu’il soit encore présent
Car évidemment j’étais sa raison de vivre, son âme, son chef-d’œuvre.
Évidemment ils s’interrogent sur mon sexe
Se demandent si vraiment il y a matière à contester
Et pourtant je me suis déjà tellement reproduite
Qu’il ne devrait plus aucun doute subsister…
Ils rient devant moi, je le vois bien
Malgré les flashs qui m’aveuglent je reste impassible
J’entends
L’histoire qui circule actuellement
Remontant jusqu’à mes ancêtres, on aurait retrouvé mes descendantes, la preuve en est faite !
De mes si pâles copies ils comparent les qualités
Comme si elles aussi méritaient dans les plus grands musées d’être exposées
Mais aucune autre jamais ne se nommera Mona Lisa
Je suis
La seule, l’originale, l’unique
Parfois dérobée mais… toujours retrouvée
Je fais encore rêvasser, mais… je ne fais plus rêver
Mon visage reste une énigme, mais… je ne fais plus fantasmer
Le temps sur moi a fait son œuvre.